• Pourquoi la société est-elle en avance sur ses ‘’élites’’

    Pourquoi la société est-elle en avance sur ses ‘’élites’’

    Bien de sociétés ont été en avance sur leurs élites. Et en pareille situation, les classes possédantes décalées par rapport à leur société le paient lourdement. En France la révolution de 1789 qui a renversé la monarchie en est un exemple.

    Alors que la famine ravageait les campagnes et que les jacqueries étaient chroniques, la monarchie ignorait que de nouvelles idées irriguaient le pays des lumières de la connaissance. Quand la famine se répandit dans les rues des villes et les cris des manifestants arrivèrent aux oreilles du roi, ce dernier crut à une banale et habituelle jacquerie. Ses conseillers lui répondirent ‘’non Sire, c’est une révolution’’. Toutes choses égales par ailleurs comme disent les économistes, le retard à l’allumage du roi de France, est comparable à cette ‘’caste’’ qui a pris les rênes dans notre pays et le gérait non seulement comme un bien privé mais aussi avec une incompétence qui défie toute rationalité. Mais avant de cerner les causes du retard à l’allumage de la dite caste, il n’est pas inutile de faire une halte pour identifier les ingrédients du carburant de l’allumage en question.

    1962 : Le pays recouvre sa souveraineté nationale. Les conditions de la prise du pouvoir en 62 ont dévoyé le programme de la Soummam ‘’la révolution par le peuple et pour le peuple’’. Ce dévoiement a marginalisé le peuple au profit d’un système reposant sur l’armée et un parti unique qui assécha la vie politique.

    1988 : Le système qui a su se maintenir jusque-là envers et contre tout, va se retrouver devant des obstacles. Un peuple qui grandit, une société qui se transforme et une situation internationale qui redistribue des cartes sur le plan géostratégique (USA/URSS/Chine) et économique (mondialisation). L’appareil de l’Etat algérien et son bras idéologique, le FLN, ‘’craquent’’ sous les effets des bouleversements que je viens de citer. Ce craquement produisit Octobre 88 engendrant l’affaiblissement du FLN (1). Affaiblissement symbolisé par la nomination et la rotation de ses secrétaires généraux par le fait du prince (la présidence). On aura remarqué ‘’l’envergure intellectuelle et politique’’ de ces mêmes secrétaires comparés aux membres du fameux CRUA de la révolution armée. Devenu une coquille vide, (son prestigieux sigle FLN de la révolution devrait être au musée de l’histoire), sa nuisance lui est signifié par le mouvement actuel du 22 février.

     

    2019 : Que voyons-nous ? Un appareil d’État affaibli et ses serviteurs ‘’malmenés’’ excepté l’Armée. Cet affaiblissement est dû comme en 88 à de nouveaux paramètres notamment une jeunesse dont la fougue et l’intelligence politique a étonné plus d’un. En face de ce mouvement inédit, un État servi par une armée de bureaucrates incompétents et adeptes d’une idéologie archaïque qui traite le peuple avec l’arrogance des parvenus. Mais ce peuple, fatigué et leur renvoyant un mépris justifié, se soulève et leur montre de quel bois il se chauffe. Nous assistons donc au nécessaire saut qualitatif d’une société qui ne veut plus supporter son statut de mineur à vie.

     

    L’issue de la bataille qui se déroule est conditionnée par le rapport entre les deux forces réelles du pays, le peuple et l’Armée. Au regard des mots d’ordre du peuple ‘’Shaâb, djaïch Khawa khawa’’ et les déclarations du chef de l’armée affirmant que ‘’l’armée défend et accompagne le peuple dans sa lutte’’, le fossé qui sépare ces deux protagonistes ne serait pas infranchissable. Mais comme le diable se cache dans les détails, on s’aperçoit que les deux acteurs ne sont pas tout à fait d’accord sur la nature et la durée de la transition mais aussi et peut-être surtout sur les hommes et femmes qui vont diriger ladite transition. Et quand on envisage le passage des intentions au réel, l’on découvre que la société est en avance sur ‘’l’élite’’ du pays dans deux domaines hautement philosophique et politique.

    1° Ne pas confondre vitesse et précipitation. Ce proverbe populaire interroge en vérité le rapport au temps et précisément à l’histoire, interrogation que l’on retrouve dans l’art de la guerre et en économie (planification et priorités des investissements). Tout le monde aura remarqué, (à commencer par le pouvoir en place et suivi par le beau monde des fictions constitutionnelles), l’empressement à faire voyager dans un TGV Dame Transition et l’arrêter dans une gare nommée Terminus de la stabilité. Sans se fatiguer les méninges, on devine facilement à qui profite cette confusion entre vitesse et précipitation. Cette confusion se traduira forcément au détriment du peuple. Le peuple sera payé au rabais avec des miettes.

    Les forces conservatrices voudront en finir au plus vite, un certain 4 juillet pour que le peuple évacue la rue et les dites forces retrouvent le pouvoir et les privilèges qui s’y rattachent. Le peuple est et sera toujours à leurs yeux el ghachi, la plèbe et autres insanités langagières et devra qu’il le veuille ou non se contenter de leur ‘’générosité’’. Grave erreur !

    2° La société en avance sur ‘’l’élite’’. Dans cette séquence relative au temps, il y a cette ‘’élite’’ qui tire ses certitudes de l’arrogance confortée par la possession du pouvoir politique. C’est elle qui est aux manettes, elle a pour elle la ‘’compétence’’ technique, la légalité secondée au besoin par les moyens de la coercition, donc ‘’el ghachi’’ n’a qu’à se taire et obéir.

     

    Mais quand le pouvoir est en butte à des oppositions, révolte ou révolution, il a recours à des serviteurs qui virevoltent autour du sérail. Tout ce beau monde se recrute dans la palette assez large des ‘intellectuels’’ qui peuvent manier des concepts ‘’philosophiques’’ et/ou juridiques. Dans leurs raisonnements, ‘’nos’’ philosophes s’arrêtent à Descartes (2) et nous le servent, à toutes les sauces, la logique qui porte son nom.

    A côtés de cercles de ‘’philosophes, il y a l’académie des juristes qui dans un premier temps n’ont juré que par le Droit et la Constitution. Et arrogance ou ignorance, ils ont voulu enfermer une situation pour le moins révolutionnaire dans un cagibi cadenassé à double tours et lui appliquer les antibiotiques de quelques articles de la constitution. Le peuple, jour après jour marche et ses revendications sont de la plus haute saveur de l’histoire. Alors qu’il veut retrouver sa souveraineté spoliée, nos juristes se pâmaient en se focalisant sur la platitude d’une constitution au lieu d’entendre les cris rageurs de barakat chantés dans nos rues.

    Le 22 février 2019 signe la rupture avec un modèle politique qui a épuisé ses ressources face à ‘’un peuple plus grand que nos rêves’’ (Jean Sénac). Ce peuple est en train d’accomplir un saut au pays, un saut qui le fera entrer dans un territoire où l’impératif de la souveraineté populaire sera la plus haute des règles. La seule qui lui permet d’être le maître à bord pour avancer à la vitesse nécessaire parce que calculée et non imposée. L’histoire a déjà enregistré en 1988 le crépuscule du Parti FLN. L’année 2019 sera celle de la fin d’un Etat de cooptation et cette conquête contre le Zaïma sera celle du peuple souverain. L’histoire dira alors que l’Algérie, comme d’autres pays, aura mis fin à un pouvoir sommeillant dans une tour d’ivoire pendant que le peuple trime sans cependant courber l’échine. Pour rester debout dans le futur, on observe des débats de qualité pour se débarrasser des mines de tous les archaïsmes très souvent dus à l’ignorance de l’histoire, ou bien à des interprétations médiocres de la religion, à un racisme de caniveau et tant d’autres facteurs, fruits de cette misère de la philosophie des ténèbres.

    Notes

    (1) En 1988 la lutte au sommet du pouvoir s’est traduite par la ‘’victoire’’ de l’Etat qui imposa l’ouverture (infitah) le libéralisme économique de Chadli. Celui qui perdit des plumes fut le FLN symbolisé par le ‘’dégagisme’’ de Mohamed Cherif Messaâdia, le pilier et l’idéologue du FLN qui semblait défendre le socialisme ‘’spécifique’’ à l’algérienne.

    (2) L’inventeur de la logique qui porte son nom, Descartes n’a tout de même pas embrassé la complexité de l’univers et son ‘’éternité’. Spinoza et Voltaire ont eu à écorner son prestige. Il est vrai qu’entre Descartes et ces deux sommités de la culture, un et 2 siècles les séparent. Durant ces siècles, Spinoza et Voltaire ont musardé dans d’autres champs fertiles de la connaissance pour accumuler des cartouches et fissurer la solide carapace de Descartes.


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